Rencontre avec Charles Dubouloz, Alpiniste et Guide de Haute Montagne

Charles Dubouloz est alpiniste, guide de haute montagne et véritable passionné de nature. Originaire de la région d’Annecy en Haute-Savoie, il a grandi au pied des montagnes, nourrissant dès son plus jeune âge l’envie de conquérir les sommets. Ce qu’il apprécie par-dessus tout ? Être immergé dans les éléments naturels : montagnes, rochers, glace et neige.

L’un de ses récents exploits en date : l’ouverture d’une nouvelle voie avec Symon Welfringer dans une face vierge du Hungchi, un sommet de 7029 mètres à la frontière entre le Népal et le Tibet, en mai dernier. Mais Charles est aussi devenu une figure emblématique de l’alpinisme grâce à son ascension solitaire des Grandes Jorasses début 2022. Sur la voie Rolling Stones, il a affronté 1200 mètres de paroi abrupte, sans voir le soleil, dans des températures atteignant -35°. Un défi de six jours et cinq nuits, devenu l’une des plus belles ascensions solitaires de ces dernières années.

Aujourd’hui, nous avons le privilège de plonger dans l’univers de cet alpiniste hors du commun. Au-delà de ses exploits techniques, Charles incarne l’endurance, la persévérance et une véritable passion pour l’aventure. 

Dans cette interview, il nous ouvre les portes de son quotidien : ses réflexions, ses inspirations, ses projets à venir, mais aussi la beauté brute et l’humilité qu’il trouve au sommet des montagnes. Que vous soyez passionné d’alpinisme ou simplement curieux de découvrir ce monde fascinant, cette interview vous donnera un aperçu unique des défis, des risques et de la liberté que l’aventure en montagne offre.

Question : Est-ce que tu peux, dans les grandes lignes, te présenter et raconter un petit peu ton parcours ?

Réponse :
Je vais me présenter de manière assez factuelle. Je m’appelle Charles Dubouloz, j’ai 35 ans, et je suis guide de haute montagne. C’est ma profession de base. Je suis aussi alpiniste professionnel depuis plusieurs années, ce qui signifie que je vis de mon sport, grâce à mes sponsors. Je passe le plus clair de mon temps à m’entraîner et à grimper, que ce soit pour moi ou pour des projets. J’ai ouvert de nombreuses voies et fait des répétitions difficiles, en solo et en cordée. J’ai aussi réalisé des expéditions dans des endroits comme l’Himalaya, le Pakistan, le Népal, et l’Inde. C’est vraiment ce qui m’attire aujourd’hui. Je passe mon temps dehors à grimper, faire du parapente, du ski, et profiter des montagnes.

2. Sur l’origine de ta passion :

Question : Ça a commencé à quel âge ?

Réponse :
J’ai commencé assez jeune, mais je ne suis pas originaire de Chamonix, je viens d’Annecy, au pied des montagnes. Dès mon enfance, je me suis tourné vers des sports en plein air, mais pas forcément de manière très technique. C’était plutôt des sports d’endurance, comme le trail et le ski-alpinisme. J’ai commencé à m’y adonner sérieusement entre 10 et 16 ans. Je me concentrais sur le cardio et j’adorais ça. En fait, je suis arrivé à la montagne à travers une logique de vitesse, de monter vite au sommet, pas forcément de manière technique, mais l’idée était de foncer, de donner tout ce que j’avais. C’est cette sensation d’être dehors qui m’a attiré. Au fur et à mesure, je suis naturellement passé vers des ascensions plus techniques. En escalade, il y a cette concentration presque perpétuelle, une fixation sur l’instant, et c’est ce que j’ai trouvé de magique. L’engagement, la rusticité, le froid… tout ça m’a vraiment plu. J’ai donc passé mon diplôme de guide et j’ai continué à faire des ascensions difficiles. Voilà un peu mon parcours.

3. Sur la profession de guide :

Question : Et aujourd’hui, tu vis à 100% de ta passion. Tu divises ton temps entre les expéditions et ton travail de guide ?

Réponse :
Oui, c’est vrai, aujourd’hui, je ne travaille plus vraiment comme guide à plein temps. Au début, c’était mon métier de base, mais depuis que j’ai suffisamment de sponsors et que je vis de l’alpinisme, j’en ai moins besoin financièrement. Mais en revanche, le guide, c’est aussi un métier que j’aime profondément. Au bout de quelques années, j’ai ressenti le besoin de revenir à ce métier, mais de manière plus ponctuelle. Ça me permet de sortir en montagne, sans être centré sur moi-même, de partager la montagne avec d’autres, et ça, c’est super gratifiant. La semaine dernière, par exemple, j’ai bossé trois jours en cascade de glace avec un client, Arnaud, un bon ami. Je continue à guider environ deux à trois jours par mois, surtout avec des gens que je connais depuis longtemps. C’est une super relation que j’entretiens avec les gens, et ça rend l’expérience encore plus agréable. Après, étant donné que je n’en ai plus besoin pour vivre, je fais ça quand j’en ai envie. C’est d’autant plus agréable.

4. L’évolution de l’alpinisme :

Question : Est-ce que tu as vu une évolution dans l’alpinisme ces dernières années ?

Réponse :
L’alpinisme a évolué à travers la popularisation de certaines pratiques, notamment l’escalade en salle, qui a explosé avec les salles de bloc qui poussent partout. Ça ouvre la discipline à un public beaucoup plus large. Cependant, beaucoup de gens s’arrêtent à la salle de bloc, un peu comme au fitness, et c’est très bien pour s’entretenir. Mais il y en a aussi beaucoup qui franchissent la porte pour aller plus loin, pour tester des choses dehors. Le trail a eu le même effet, et c’est génial pour faire découvrir la montagne à davantage de personnes. En revanche, en ce qui concerne l’alpinisme pur, il reste une discipline un peu plus exclusive. Il faut du matériel, de l’expérience, et des compétences. Ça coûte cher, et même si certaines associations et clubs permettent d’y accéder plus facilement, ça reste une pratique où l’expérience est cruciale. Je ne pense pas que l’alpinisme soit un sport qui se démocratise vraiment en nombre, même s’il y a un certain changement dans le profil des pratiquants.

5. L’avenir et l’après :

Question : Et toi, quels sont tes projets pour l’avenir ? Qu’est-ce qui te tient à cœur ?

Réponse :
Je suis arrivé à un stade où, sportivement, je connais bien le processus d’ascension. Grimper, réussir une voie, la redescendre, en parler, communiquer… je le fais déjà depuis un moment, et même si c’est génial, j’ai envie de découvrir de nouvelles choses. J’ai encore des projets d’envergure, comme ouvrir une ou deux nouvelles voies en Himalaya ou peut-être réaliser une grande aventure solitaire en hiver dans les Alpes. Mais au-delà de ça, je commence à réfléchir à l’après. Je suis dans une période où j’ai envie de trouver quelque chose qui puisse me remplir autant que la montagne l’a fait jusqu’à présent.
Cela dit, je ne compte pas arrêter complètement. L’alpinisme de haut niveau, technique et engagé, ça va probablement s’arrêter un jour, mais je continuerai toujours l’escalade sportive, le bloc, et tout ce qui me fait vibrer dehors.

6. Un conseil pour les débutants :

Question : Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer dans l’alpinisme ?

Réponse :
Il n’y a pas de personne prédestinée. Il suffit d’avoir de la détermination et d’être prêt à investir du temps et de l’énergie. Je connais des gens de toute la France, pas forcément originaires de régions montagneuses, qui sont devenus de grands alpinistes. L’essentiel, c’est d’avoir envie et de faire preuve de patience. L’alpinisme, c’est une discipline qui demande du temps, mais l’expérience et la sensation de vivre en montagne en valent vraiment la peine. Peu importe d’où tu viens, ce qui compte, c’est ta motivation.

Crédit photos : Agence MRP / Charles Dubouloz / Antoine Mesnage

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